C’est après avoir déjà beaucoup voyagé que Cédric Gras se retrouve un beau jour à Vladivostok.
Peut-être le souvenir du fleuve Amour sur un atlas consulté dans la jeunesse…
Parti seul – « je suis parti seul, cela va de soi.
C’est sur la route que se rejoignent ceux qui veulent la parcourir » – pour fonder une Alliance française, il y restera trois ans.
Dans Vladivostok, neige et moussons, il raconte ses séjours en Russie, plus exactement dans cet Extrême-Orient russe, et dans cette ville, selon le rythme des saisons, prétextes à des descriptions de la nature, des éléments naturels, en même temps que des portraits et un regard sur la culture et les modes locales.
« Certains hommes ont éprouvé, en descendant du train ou de l’avion sur une terre étrangère, le sentiment d’arriver chez eux »
Pourtant, Vladivostok – que chacun d’entre nous a toute les chances de ne pas situer correctement sur une carte – ne ressemble à rien de ce que Gras attendait.
« Vladivostok, ce n’est pas le Grand Nord, c’est l’Extrême-Orient, et c’est presque méridional. »
Le bord asiatique d’une Russie qui se voudrait européenne.
Une sorte de zone intertropicale remplie de Toyota et de bus coréens.
« A Vladivostok, on sent à peine l’odeur des embruns. La ville ignore les rouleaux, les marées et les écumes. Sans les mouettes, on aurait peine à entendre la mer. »
Vladivostok – « un marais à l’eau salée et à l’air vicié » – est décrite par petites touches, par des anecdotes, par des rencontres, par des moments fugaces, par des impressions, donc par des histoires et par des mots qui nous la rendent très proche. On sent tout ça comme si on y avait habité. La bagnole qu’il faut avoir, mais aussi le permis qu’il faut passer, tout ça pour des heures d’embouteillage…
Le réveillon du Nouvel An, avec ses feux d’artifice, ses cuites, et les messages pré enregistrés du Président, qui s’adapte ainsi aux nombreux fuseaux horaires qui traversent la Russie.
Et le brouillard. Un brouillard épais et lourd.
Vladivostok en toutes saisons.
Au printemps, des pluies diluviennes.
« Dans les bus, ça sent le chien mouillé, voire la zibeline ou le tigre. »
En été, le retour des touristes et des marins militaires de tous pays.
A chaque saison ses particularismes.
En toutes saisons : les amours, les flirts, les mariages. L’alcool. Les envies de partir.
Et l’hiver, qui arrive très vite. En quelques heures tout est bloqué. Neige, verglas, routes impraticables, lumière coupée, éclairs…
Mais contrairement à l’idée occidentale, ici l’hiver n’est pas la saison de la déprime.
Bien au contraire. On lira pourquoi. C’est aussi en hiver, le 19 janvier exactement, que les orthodoxes commémorent la baignade de Jésus dans le Jourdain par une rapide immersion « dans un trou en forme de baignoire taillé dans la banquise. » Vivifiant.
Et puis Cédric Gras repart. Car pour lui le voyage ça n’est pas de « parcourir la Terre à fond de train, luttant contre l’ennui que m’inspirait le monde. »
Le voyage c’est, paradoxalement, « passer du temps avec les éléments, avec la terre, avec les gens. » Partir signifierait changer de place, faire un voyage sans itinéraire.
L’auteur appelle ça le repiquage, ou le replantage.
Sans doute le meilleur livre personnel sur l’Extrême-Orient russe d’aujourd’hui.
« L’un des plus beaux saluts que j’ai lus depuis des années à cette Russie qui nous aimante. » Tout ce qu’il faut savoir sur l’âme russe.
« La vie est une étincelle qu’il ne faut pas chercher à protéger du vent. Elle est une rupture dans l’infini inconnu qui nous entoure, un cri dans l’univers silencieux, une folie. Être russe, c’est en posséder l’âme. »
Tout ce qu’il faut savoir également sur l’art de vivre russe, cette indifférence, le pofigism.
« L’esprit étant le suivant : une grande indifférence poétique. Entendez par là qu’il faut tout en se fichant de tout, y compris à un certain degré de soi-même, développer un amour de l’existence non sélectif englobant les peines et les euphories. Il faut se penser génial tout en ne croyant pas en l’avenir. »
Livre indispensable à tout voyageur qui aurait le projet d’y aller, ou qui en reviendrait.
Les premières lignes :
« Tout ce que l’on a appris avant dix-huit ans semble désespérément gravé en nous. Adopter de nouveaux comportements est un jeu d’enfant que les adultes ont bien du mal à imiter. Et je n’étais pas le jonc le plus souple sous le vent du voyage et la tempête des cultures. Un brin rigide… et pourtant la Russie m’a changé. Je n’étais pas parti pour y rester, je la voyais comme un énième voyage, pourtant c’est le seul pays où j’ai eu envie de m’arrêter pour percer la barrière culturelle et linguistique, pour aller beaucoup plus loin. »
Citations
« Je suis parti seul, cela va de soi.
C’est sur la route que se rejoignent ceux qui veulent la parcourir. »
« L’important n’est pas le voyage, car immanquablement vous revenez au port,C’est sur la route que se rejoignent ceux qui veulent la parcourir. »
ce port que vous vouliez quitter.
Ce qu’il faut, c’est un voyage sans itinéraire,
un point seulement et non une ribambelle de punaises américaines
reliées par un tracé noir sur une carte du monde. »
Manuel
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