miércoles, diciembre 14, 2011

Germanophobie : le retour des revanchards


Tout
commence avec cette déclaration d’Arnaud Montebourg.
Le chantre de la démondialisation s’en prend cette fois aux «diktats allemands».
Il estime que «la question du nationalisme allemand est en train de resurgir à travers la politique à la Bismarck employée par Mme Merkel (…).
Ça veut dire qu'elle construit la confrontation pour imposer sa domination».

Il est vivement mis en cause, notamment par Dany Cohn-Bendit :
«Montebourg sombre dans le nationalisme au clairon qui ne sert
qu'à raviver des sentiments qu'on croyait définitivement derrière nous.
C'est du mauvais cocorico. Il fait du Front national à gauche.»


Arnaud Montebourg n’est pas seul.
Jean-Marie Le Guen compare Sarkozy et Daladier...
Emmanuel Todd énonce doctement que
«l’histoire ne nous a pas dit que l’Allemagne était un pays raisonnable.
C’est un pays dont le génie particulier est de s’enferrer dans des erreurs.
Et dans une obstination irrationnelle.»
Quant à Patrick Besson, il reçoit une volée de bois vert pour un éditorial où il se mque d'Eva Joly, en pastichant Balzac.

Germanophobie?

Le débat enfle quelque peu et voici François Hollande tenu de se réconcilier avec nos voisins, en prononçant quelques mots dans la langue de Goethe.

Pourtant, Arnaud Montebourg a fait preuve de prudence: plutôt que d’en référer au Troisième Reich, il a évoqué Bismarck. Pas de reductio ad hitlerum ici, un simple retour du casque à pointe.
Ce faisant, le passionné de la Sixième République s’inscrit dans l’obsession revancharde de la Troisième République.
Bien joué? Pas forcément. En tout cas, il n’est pas politiquement correct…

Depuis 1870, en France, on bouffe du «boche» du matin au soir, sans précautions verbales.
La détestation des casques à pointe a commencé avec le Traité de Francfort, 1871, par lequel la France perd l’Alsace et la Lorraine.

Humiliation nationale.
Des décombres de Sedan, naît une République fragile.
La Revanche s’installe dans toutes les têtes.
Ne crée-t-on pas Sciences-po pour surmonter la "crise allemande de la pensée française"?

Le roman d’espionnage trouve en partie sa source dans les romans revanchards.

«- D'abord, c'est un Allemand... et puis c'est un espion.
- Qui dit l'un, dit l'autre...» (Théodore Cahu)

Ce qui frappe à la lecture de ces textes, c’est l’étonnante désinvolture raciste avec laquelle les auteurs qualifient les Allemands.
«Teutons», «schwobs», «Boches» ou «Alboches» sont monnaie courante.
Nos «ennemis héréditaires» ont des «têtes carrées», évidemment recouvertes de «casques à pointe».

Pour le lecteur peu perspicace, on a recours à une physiognomonie manichéenne.
Le corps allemand est massif: «gros, gras, court, le torse ramassé, l'abdomen ballonné, la face large».
Le mot «kolossal» comme l'abusif mais explicite «kolossalement» reviennent fréquemment.

Le «Boche» bâfre. On le voit «mâchant béatement sa choucroute et sa charcuterie».
Les soldats envoyés en train envahir la France se goinfrent de pelletées de cochonnailles:

«Encore une station, encore des cris, des soldats entassés dans des fourgons
auxquels on jette des chapelets de saucisses, toujours de la saucisse...»
(Gaston Leroux)

Les comparaisons avec les animaux sont légion.
Ici ce sont des «corbeaux avides», là des «vautours», voire des «ours de Silésie» ou des «ours tudesques».
Dans le roman populaire, la nuance psychologique n’existe pas:

«A son accent, à sa tête aplatie, celle d'un reptile, à son col engoncé entre de lourdes épaules,
à sa démarche d'ours en goguette, Jean, facilement, reconnut un Prussien, un vrai.»

(Paul Bertnay)


Par nature, l’Allemand est brutal, vulgaire, fat.
Beaucoup sont avares, tous sont envieux et colériques, dans cette «race infatuée», il n'en est aucun qui ne soit «bouffi d'orgueil».

Après guerre, la veine s’épuise –et pour cause.
La France des «gueules cassées» et des veuves est désormais pacifiste.
Dans le roman d’espionnage, l’URSS s’impose peu à peu.
Après 1945, l’ennemi héréditaire est affaibli.
La germanophobie est apaisée, à l’image du mot célèbre de Mauriac:

«J'aime tellement l'Allemagne que je préfère qu'il y en ait deux.»

Parfois, la haine ancestrale revit, le temps d’une bataille homérique, comme celle des équipes de foot en 1982 à Séville.

En 2011, les derniers poilus sont morts
et Bismarck n’était plus qu’un vague souvenir.
Jusqu’à Arnaud Montebourg…

Manuel
#877

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