sábado, diciembre 13, 2008

Résilience américaine

Entre son culte des principes, sa diplômaniaquerie, son goût pour les élites, son obsession pour les statuts et son exception culturelle, la France, drapée dans le modèle républicain, a plus de mal à s'adapter à la mondialisation et à résister à la crise que l'Amérique.
C'est le diagnostic d'Ezra Suleiman - prof de sciences politiques à Princeton, où il dirige le Centre d'Etudes européennes.

Quelles sont nos schizophrénies les plus graves ?

Tocqueville parlait de l'attrait des Français pour les théories générales et de leur mépris pour les faits.
Mais vous avez aussi ce goût pour la rhétorique : si l'éloquence permet de se débarrasser de la réalité, alors la réalité passe au second plan.
Et puis il y a cet attachement au principe d'égalité.
Au fil des ans ce principe s'est transformé en un égalitarisme obsessionnel, battu en brèche dans la réalité par la toute-puissance et l'omniprésence des élites, accrochées à leurs statuts et à des privilèges qu'elles refusent d'abandonner : grandes écoles contre universités, hauts fonctionnaires contre France d'en bas. Comme les aristocrates français qui n'ont pas su s'adapter et qui ont été guillotinés alors que les aristocrates anglais en cédant une partie de leurs privilèges ont conservé châteaux, titres et positions sociales, les élites françaises n'ont pas compris qu'elles devaient évoluer avec leur temps pour ne pas être condamnées. Pour affronter la mondialisation, il faut mobiliser tous les talents. A côté des grandes écoles, les universités françaises - colonne vertébrale du système - doivent aujourd'hui prendre leurs responsabilités, soumettre leurs enseignants à l'évaluation, accepter la vraie concurrence comme l'ont fait les universités américaines dans les années 1960 alors qu'auparavant elles refusaient Noirs, juifs et catholiques.



A chacun ses schizophrénies : les Américains prétendent mondialiser l'Amérique mais veulent surtout américaniser le monde; ils exportent leurs valeurs mais font aussi triompher leurs intérêts; ils adorent le libéralisme mais demandent à l'Etat de les sauver.
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Après huit ans de dérive, le principe de réalité nous a rattrapés.
Impossible par exemple de dire aux Russes qu'ils ont mal agi en Géorgie alors que l'Amérique a pratiqué le même unilatéralisme en Irak.
Après dix ans de déréglementation, d'aveuglement, d'«exubérance irrationnelle» encouragée par la Réserve fédérale, banquiers et financiers doivent aller à Canossa demander à l'Etat de socialiser l'économie... sans que personne n'utilise ce mot. Comme dans une guerre de classes, «Main Street» se révolte contre Wall Street.
Pis, notre mauvaise santé économique nous condamne à l'immobilisme au cas où éclaterait une crise qui cette fois justifierait notre intervention. J'ai dénoncé ce démantèlement de l'Etat dans un précédent livre.
Mais en même temps j'espère qu'on ne passera pas de l'autre côté du cheval. La société américaine est plus ouverte, plus résiliente, capable d'encaisser les chocs. Hormis la parenthèse Bush, nos dirigeants sont des pragmatiques. Ils n'ont jamais considéré qu'ils étaient mariés avec une solution. Ils peuvent donc réagir plus vite, essayer autre chose.


Le Nouvel Observateur - 2008


Manuel
#304

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