sábado, diciembre 27, 2008

Mitteleuropa

Claudio Magris
Le grand écrivain italien de la Mitteleuropa, voyageur érudit et engagé, parle des frontières, de l'Europe, de sa jeunesse à Trieste, de la foi et du bonheur

"Toutes les frontières des langues sont mêlées en moi.
C'est pour cela, sans doute, que j'ai toujours été attiré par les gens qui pensent en plusieurs langues.

La seule éducation morale susceptible d'être reçue par l'homme est une atmosphère.
Mes parents ne m'ont jamais dit qu'il ne fallait pas être raciste ou nationaliste, mais toute leur attitude - leur façon de parler, de discuter, de jouer aux cartes, même de se fâcher, d'être heureux ou triste... ?- démontrait qu'il ne fallait pas l'être. Ils avaient créé une atmosphère dans laquelle le racisme, l'intolérance ou le nationalisme n'avaient pas de place.
Oui, mes parents m'ont très vite vacciné contre toute fièvre nationaliste. C'est le rôle de la culture que de défendre les identités, les différences et les diversités menacées, mais surtout sans les idolâtrer.

Je crois qu'il n'y a pas de fidélité sans rébellion. C'est comme l'amour pour la maison natale. Il faut quitter sa maison et sa famille pour ensuite les retrouver librement.

J'essaie donc de vivre la disparition des mondes au présent. Je n'ai aucune nostalgie du passé.
Mais je crois à certaines grandes valeurs européennes qui nous sont communes. Ce qui nous différencie de cet autre Occident anglo-saxon, surtout américain, c'est que le bonheur de l'individu inclut le monde qui l'entoure. Le citoyen est ni le zéro dans la totalité ni le cow-boy isolé. Comme tout le monde, je suis égoïste, mais le bonheur de l'autre participe aussi de mon bonheur personnel. Ce n'est pas un hasard si la tradition du capitalisme continental européen est très différente de la conception du capitalisme financier à la Milton Friedman.
Je rêve d'un Etat européen avec un véritable gouvernement, un Etat fédéral doté de lois communes, car nos problèmes sont avant tout européens.

L'attachement sans faille, c'est peut-être le bonheur. Mais nommer le bonheur a quelque chose de sacrilège. C'est comme pour la foi religieuse. On peut la ressentir, mais sa proclamation a quelque chose d'intégriste."

Le Nouvel Observateur - 23.12.08


Manuel
#322

No hay comentarios: