L’avant-match
Débrancher:
«Débrancher le cerveau», ou le laisser au vestiaire.
Se dit d’un joueur qui peut être un parfait gentleman, un joyeux drille ou un intellectuel hors du terrain, mais un animal sur le pré, un fou furieux. Il est amusant de noter que le joueur qui débranche veut souvent éteindre son adversaire.
Parfois, le rugby laisse l’adrénaline et la testostérone commander, plutôt que les neurones.
Se monter le bourrichon:
L’intérieur d’un vestiaire de rugby est fait d’odeurs (camphre, transpiration) et de bruits.
Des crampons claquant sur le sol, des encouragements et des incantations. Juste avant d’entrer dans l’arène, les joueurs peuvent se serrer, généralement dans la douche, et «se monter le bourrichon» en se promettant fidélité, loyauté et assistance dans le combat. On y transcende les peurs comme on y perd des matchs.
Laissez trop d’influx nerveux et émotionnel dans le vestiaire, et la descente sera dure.
La bataille
Entrer au casque:
Lorsque le cours du match est indécis, que le combat fait rage et que la victoire peut basculer d’un côté ou de l’autre, la moindre mêlée revêt une importance capitale. Pour marquer son adversaire et prendre un ascendant physique et psychologique, un pilier peut rentrer «au casque», c’est-à-dire directement dans la tête de son adversaire.
La technique est aussi utilisée lors de la première mêlée du match, pour montrer au vis-à-vis qu’il ne va pas passer une joyeuse après-midi.
Sortir les casques à pointe:
La référence au casque des soldats prussiens est évidente. Sortir le casque à pointe signifie faire preuve d’engagement extrême à la limite de la sauvagerie pour s’assurer un ascendant psychologique.
Aller au charbon/à la mine:
Descendre dans une mine n’a jamais fait marrer personne.
Aller au charbon ou à la mine, c’est donner de sa personne pour effectuer les tâches les plus ingrates, les plus obscures, les plus douloureuses. Si pour le profane, celui qui s’y colle et va au charbon passe souvent inaperçu, il gagne en revanche la reconnaissance du puriste et le respect de son adversaire.
Châtier:
La base du rugby: deux camps s’affrontent, et le ballon délimite le terrain de chacun.
Un joueur qui se trouve entre le ballon et les joueurs adverses est donc en position de hors-jeu. Un placement illicite qui vaut pénalité. En cas d’arbitre distrait ou malvoyant, chaque équipe est équipée d’un redresseur de torts chargé de faire comprendre au fautif qu’il n’est pas le bienvenu dans cette partie du terrain. Il est alors châtié par des moyens de rétorsion propres à chacun.
Le rucking (voir par ailleurs) en est un, et laisse des traces de crampons pour la semaine.
Charger:
Au sens premier, charger, c’est prendre le ballon et attaquer la défense adverse avec tout son coeur.
Comme en rugby, on charge à tour de rôle, c’est aussi «prendre cher». Rester sonné après un impact par exemple, ou subir un placage dévastateur. Quand on charge, on peut devenir saignant, être «ouvert comme un livre».
Si le joueur est KO, on dit qu’il s’est fait «éteindre», sous-entendu, la lumière.
Découper/ emplafonner/ tamponner/ mettre un arrêt-buffet/ désosser/prendre en planche etc:
Le champ lexical du placage dévastateur est certainement le plus fourni, et glorifie le défenseur, qui, tel un gladiateur, a marqué son adversaire dans sa chair. L’arrêt-buffet se réfère au placage au torse (buffet) qui stoppe l’attaquant sèchement. La prise en planche à la position à l'horizontale du corps du plaqueur dans le sternum adverse au moment de l’impact.
Déclencher une générale/ une salade de phalanges/se chamailler/ poudrer/ chacailler/ arroser/ mettre une bouffe/ distribuer poires, marrons et châtaignes/sortir la boite à gifles etc:
Le rugby est encore dans nos campagnes un fabuleux instrument de catharsis.
Ramasse-tout, il sert à défendre l’honneur du village, du clocher, de la cousine, etc. Il est donc courant aux plus bas niveaux de voir des matchs débuter par des bagarres générales.
Le plus souvent, c’est même un avant-propos obligatoire et salvateur, qui permet d’évacuer toutes les tensions préexistantes héritées des pères et des grands-pères.
Au coeur des «générales», qui sont heureusement plus souvent des escarmouches que des batailles rangées, on compose des salades de phalanges, on se met des tartes on donne et on reçoit des poires, des marrons ou des châtaignes selon le pays et la saison.
Dans des cas plus isolés, on peut «poudrer», «mettre une bouffe», «arroser», pour signaler sa présence à un adversaire.
Rucking/stamping:
Parmi les règles complexes du rugby, celle différenciant le rucking du stamping est primordiale.
Lorsque le ballon est au sol, qu’un joueur adverse se prélasse dans votre camp et que l’arbitre ne dit rien, vous pouvez «rucker», c’est-à-dire le piétiner pour le faire sortir de la zone ou lui faire lâcher le ballon. Geste technique par excellence, il s’agit d’un coup de crampons donné du haut vers le bas. Et non d’un vulgaire coup de pompe envoyé dans le lard.
Le «stamping», qui vise à châtier un joueur au sol mais pas concerné par le ballon, pourra coûter un carton rouge.
Un coup d’éponge magique:
Bien avant l’arrivée des bombes de froid, on soignait les blessures avec un coup «d’éponge magique», véritable trousse médicale à elle toute seule. L’éponge, valeureuse, passait le match dans un seau d’eau fraîche et sortait, avec quelques gerbes glaçantes sur la partie meurtrie du joueur à terre.
Elle a longtemps fait office de placebo aussi bien pour les petits bobos que pour les fractures... et a certainement fait plus de miracles reconnus que Jean Paul II.
La cuisine
Faire une fourchette:
«L’homme n’est jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de châtier son prochain», écrit Daniel Herrero dans son Dictionnaire amoureux du rugby:
«Sur un terrain de rugby, les poings sont des massues, les genoux des gourdins, les bras des nunchakus. Et puis il y a les armes de poche, discrètes et vicieuses comme des échardes, que les sournois utilisent dans l’obscurité des mauls. De toutes, c’est la fourchette qui empoche la palme du geste le plus vil. Le principe? Enfoncer ses doigts dans les yeux de l’adversaire d’un coup sec et précis comme pour enfourcher une pièce de viande trop cuite. Les auteurs de fourchette ne s’en vantent jamais et les victimes voient généralement trouble avant de voir rouge.»
Si on ne la voit pas toujours, la fourchette est l’offense au jeu la plus sévèrement punie.
En 2010, les Français Julien Dupuy et david Attoub ont ainsi écopé de respectivement six mois et un an de suspension pour ce mauvais geste.
Option B: si vous êtes Britannique, vous vous en sortirez avec un rappel à l’ordre.
Faire une cuillère:
Cet instrument-là est beaucoup plus utile.
Il s’agit, pour un adversaire dépassé par la vitesse d’un joueur, de le faire trébucher en accrochant d’une main et généralement en pleine extension, un genou, un pied, une cheville, un lacet, bref, tout ce qui traîne. C’est l’arme défensive de la dernière chance.
Lancer comme un pizzaïolo:
Quand le sauteur s’élance en touche, il espère bien voir le ballon lui arriver entre les mains.
Malheureusement, il le suit souvent du regard s’envolant bien loin. Le lanceur est alors comparé au pizzaïolo italien pour son style peu académique et son mouvement de bras pas très précis.
En équipe de France, on appelle cela une Guilhem Guirado.
Faire une cocotte:
Quand la balle est bien au chaud au milieu d’un regroupement, protégée par les joueurs d’une même équipe, solidaires, et progressant groupés.
On parle d’une «cocotte», d’une «tortue» ou d’un «boudalou» en patois du Massif central pour nommer de manière plus chantante un ballon porté.
Avoir des oreilles en chou-fleur:
Un match de rugby qui ne laisse pas de traces est en général un match raté. Parmi les stigmates du combat, les oreilles en chou-fleur font office de Légion d’honneur.
A force de frottements, le cartilage des oreilles gonfle et se déforme, donnant aux appendices auditifs l’allure du végétal.
Les (anti)gestes techniques
Placage cathédrale:
Lorsque le défenseur-plaqueur soulève les appuis de son adversaire puis le renverse jusqu’à lui faire passer les pieds par dessus tête, on dit qu’il le «monte en cathédrale». Placage dangereux, car les joueurs retombent sur le dos ou les cervicales, il est désormais réprimé d’un carton rouge si les jambes sont soulevées au dessus du niveau du bassin.
Faire une cravate:
C’est l’autre type de placage dangereux. La cravate est un placage haut, au niveau de la gorge, qui peut être puni d’un carton rouge selon les cas. Synonyme: la manchette. Pour rappel, on peut plaquer tout ce qui est en dessous des épaules, à condition de faire le geste de serrer l’adversaire, pas de lui mettre juste un coup d’épaule.
Raffuter:
C’était l’arme spéciale de Jonah Lomu.
Le «big man» tendait son long bras vers l’adversaire et l'empêchait ainsi de le plaquer. Le raffut vise la poitrine, l’épaule, le front, et sert à se débarrasser du défenseur pour continuer sa course ou faire une passe avec la main libre.
Balancer une brique, un parpaing:
La passe doit être une offrande. Malheureusement, elle ne l’est pas toujours. Lorsque la balle est transmise avec autant d’application que le maçon transmet le parpaing ou la brique, les fondations de l’attaque ne sont pas très solides.
Enquiller:
Expression typique du sud, «enquiller» veut dire «entrer» au sens général. Quand le buteur enquille tout, ça veut dire que tous ses coups de pied passent entre les perches. Il vise en général le «poteau du milieu», sorte de cible invisible et de repère psychologique.
NB: on peut aussi s’enquiller des pastis, c’est même recommandé par jour de pétanque.
Taper une chandelle:
Quand la défense est bien en place et que vous êtes coincés dans votre camp, vous tentez de débloquer le jeu en tapant une chandelle. C’est-à-dire donner un grand coup de pompe dans le cul du ballon pour qu’il parte très haut et permette à vos partenaires de courir suffisamment vite pour arriver au point de chute et 1-récupérer la balle 2-dézinguer le réceptioneur adverse. Le joueur qui «monte la chandelle» essaie d’éclairer le jeu, mais peut très bien dévisser et voir le vent repousser le ballon dans son camp.
Ce foirage est une spécialité française.
Un coup de pied de mammouth.
Caractéristique d’un joueur capable, d’un grand coup de tatane salvateur, de renvoyer le jeu dans les 22 mètres adverses, ou de passer une pénalité de 60 mètres. Attention, le coup de pied de mammouth pour le principe (synonyme: Damien Traille, Lionel Beauxis) est inutile s’il atterrit directement dans les bras d’un adversaire.
La chistera:
Faire une passe chistera consiste à faire passer le ballon dans son dos pour le faire partir du côté opposé du bras qui fait la passe, grâce à un geste d’avant vers l’arrière. En gros, une passe de la main droite qui part à gauche derrière le dos. La forme courbée que prend alors le bras et le mouvement de balancier rappelle la chistera utilisée en pelote basque.
Techniquement difficile, plus souvent esthétique qu’utile.
Se faire la valise:
Le demi de mêlée ramasse le ballon et part au ras du regroupement au nez et à la barbe de tous les gros scotchés sur le terrain.
Il s’est fait la valise, on ne le reverra plus.
Prendre un courant d’air:
En plein hiver, les arrières ont souvent de quoi attraper un coup de froid sur le terrain, faute d’être mis à contribution. Mais ils peuvent aussi bien rentrer à la maison avec un torticolis ou un rhume, après avoir pris un courant d’air, c’est-à-dire avoir été grillé à la course par un adversaire. Et ce, en toute saison.
Le «cadrage-débordement», qui consiste à fixer un joueur par une feinte de corps avant de le déborder sur l’extérieur à la course, est un cas d’école de courant d’air.
Se coucher sous le train/le bus:
Quand un joueur au physique beaucoup plus avantageux que le vôtre arrive lancé comme un obus avec l’idée fixe de vous rentrer dans la courge, vous avez deux choix. 1- vous échapper et subir l’ire de la foule et de vos partenaires 2- rassembler vos forces, vous baisser et fermer les yeux en attendant de voir.
Finit soit par un KO soit par un grondement admiratif de la foule. Ou les deux.
Un coffre à ballon:
Lorsque vous vous trouvez à côté d’un «coffre à ballon» et que le cuir lui arrive, vous savez que vous ne le toucherez jamais. Sa spécialité: le mettre sous le bras et emplâtrer le premier adversaire qui passe. Spécialité des avants et de certains centres au physique de «frigo américain» et mono-maniaques du marteau-piqueur.
Les joueurs et les déménageurs de piano:
Selon la formule consacrée, une équipe de rugby est formée de déménageurs de piano, les avants qui s’assurent de l’emprise sur le match, et de ceux qui en jouent, les arrières qui exploitent les ballons fournis par les «gros».
Le beau jeu
Faire chanter la gonfle:
Le ballon de rugby est une chose paradoxale qui aime à la fois être dorlotée au creux des paquets d’avants, et prendre l’air sur les extérieurs au gré d’une sarabande de passes. Quand le ballon est transmis de main en main dans l’esprit d’aller marquer un essai, on dit que la gonfle «chante». Elle est donc heureuse.
L’équipe de France, bien connue par le passé pour la faire s’époumoner, est désormais vilaine maîtresse puisqu’elle ne la fait plus que siffloter.
Aller en terre promise, ou à dame:
Défier l’adversaire pour marquer un essai peut s’avérer si difficile que cela vaut bien une métaphore biblique. Tel Moïse, celui qui aplatit mène son équipe en terre promise, dans un plaisir exquis.
On dit aussi qu’il va à dame: dans le jeu éponyme, le but est d’amener un pion au bout de l’échiquier pour récupérer une dame, plus puissante.
La diversité culturelle
Le french flair:
Longtemps, les Britanniques ont regardé les Français avec une condescendance qui ne tient qu’aux sujets de sa gracieuse majesté. Ils nous battaient toujours et s’amusaient de notre capacité à nous lancer dans des mouvements imprévisibles et absents de tous les livres des techniciens d’outre-Manche. Ils ont donc appelé ces fantaisies parfois suicidaires le French flair. Dans le professionnalisme uniformisateur, ces coups de génie repointent de temps à autres le bout de leur nez, et les Néo-Zélandais s’en méfient plus que d’une alliance de l'opossum et du furet.
«Good game»:
Sort de la bouche de l’Anglais qui, sourire en coin et oeil brillant, vient de vous battre et rejoue le couplet du gentleman de salon. «Thank you and good game», comprendre, «c’est pas encore pour cette année, mangeur de grenouille».
A hanté les nuits de pas mal d’internationaux français. Serait une légende.
Le fighting spirit irlandais:
Jusqu’au tournant du millénaire, les Irlandais tenaient le rôle de parent pauvre du rugby européen. Ils étaient l’équipe sympa avec qui on buvait une bière après l’avoir battue. Mais gagner en Irlande n’a jamais été une partie de plaisir et les hommes en vert ont longtemps compensé leur déficit de qualité par un surplus d’agressivité.
Ce fighting spirit a rendu des premiers quarts d’heure bien longs, a lessivé nombre d’adversaires, et entretenu l’honneur d’un peuple où les renégats sont des idoles.
La grinta argentine:
Déclinaison sudiste du fighting spirit. Les Argentins ont toujours compensé des qualités techniques moyennes par un esprit de corps et une agressivité supérieures. Sous-entendu, si vous les prenez à la légère, vous allez prendre cher.
Les Français, qui sont leurs cibles favorites, en savent quelque chose.
A la télé...
La belle à l’aile, la vie est belle:
Une des vieilles expressions ressorties à l'envie par nos commentateurs télé.
On part du principe qu’en envoyant le ballon vers les ailiers, celui-ci va partir vers de folles chevauchées solitaires et finir en terre promise.
Les mouches ont changé d’âne.
En football, ça donnerait «le match a changé d’âme». On préfère l’expression popularisée par Pierre Albaladéjo. Dans la vraie vie, les mouches changent d’âne quand un vieux bourricot, trop faible pour résister, vit ses derniers instants. Il constitue alors une proie facile pour les insectes.
En rugby, les mouches changent d’âne quand l’équipe en tête perd soudainement son avantage.
La cabane est tombée sur le chien:
Lorsqu’une équipe lutte avec l’espoir de revenir au score et que la victoire n’a pas encore choisi son camp, un coup de dés peut décider du sort de la partie.
L’essai en contre et l’interception sont les deux coups de poignards les plus probables.
On dit alors, comme Pierre Albaladejo (encore) que «la cabane est tombée sur le chien», que tout espoir est perdu, que «ça sent le sapin», c’est-à-dire le cercueil de la défaite.
Allez les petits!
On vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître.
Avant que Pierre Salviac et Christian Jeanpierre (RIP) ne deviennent les voix du rugby, il y eut Roger Couderc. Le journaliste d’Europe 1 et Antenne 2 a largement contribué à populariser le rugby dans les années 60-70 avec ses commentaires enthousiastes et gentiment chauvins.
Son «Allez les petits» et la remise du maillot ensanglanté de Jean-Pierre Rives restent dans les mémoires.
François Mazet et Sylvain Mouillard
Manuel
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