Partis chercher leur Terre Promise il y a près de mille ans, les ancêtres des Maoris sont tombés sur une île fumante et vierge. Ils l'ont appelée Aotearoa, “la terre du long nuage blanc”.
Les récits mythologiques, évangiles de l'oralité maorie, ne laissent aucun doute quant à sa nature sacrée.
Le demi-dieu Maui était un descendant de Rangi-Nui (le ciel) et de Papa Tuanuku (la terre) et vivait à Hawaïki, terre mythique du centre Pacifique. Il décida de suivre ses frères aînés à la pêche en plein océan. Lorsque le waka (canoë) fut au large, il jeta sa ligne équipée d'un hameçon en os enduit de son propre sang. Il sentit mordre un poisson démesuré qu'il parvint à remonter au prix d'héroïques efforts.
Il venait de pêcher l'Ile du Nord de la Nouvelle-Zélande, autrement dit Te Ika-a-Maui,“le poisson de Maui”.
Afin de maîtriser la puissance de ce géant, Rangi-Nui, le ciel, fit surgir en son centre une montagne imposante, le mont Ruapehu.
Une fois le calme établi, Rangi-Nui précisa la géographie de l'île et plaça, près du Ruapehu, les monts Tongariro et Ngauruhoe, trinité suprême du pays maori.
Dans la légende de Maui apparaît clairement la prédominance de l'Ile du Nord (la prise miraculeuse) sur l'Ile du Sud, simplement identifiée comme le waka des pêcheurs.
Un ordre qui s'explique par l'histoire du peuplement de ce cul-de-sac insulaire.
Les premiers navigateurs polynésiens venaient probablement des Iles de la Société ou des Marquises. À l'étroit sur leurs confettis, ils seraient partis chercher une terre du possible.
L'Ile du Nord a sans doute comblé leurs espérances. Accueillante, luxuriante, elle foisonnait de kauris et pullulait de moas. Les premiers, plus grands arbres du monde après les séquoïas, ont toujours fourni un bois de rêve pour l'habitation, la fabrication des wakas ou la sculpture. Les moas, gros oiseaux coureurs des bois pouvant dépasser trois mètres de haut, ont nourri de leur chair et de leurs oeufs des générations de Maoris avant de disparaître.
Et puis il y a le miracle volcanique.
Les nouveaux arrivants ont vite compris que les nombreux solfatares, rivières ou sources chaudes pouvaient servir à la cuisine, au chauffage, à l'élimination des excréments, et accessoirement au bien-être. Durant des siècles, les guerriers sont allés renforcer leur mana (l'énergie physique et spirituelle, le prestige, etc.) dans des sources thermales telles que les précieuses et toujours actives Ngawha Springs.
Ils n'avaient que peu de raisons de franchir l'actuel détroit de Cook pour investir massivement “le waka de Maui”, l'Ile du Sud et ses coups de froid polaire, son humidité usante, alors que les baies des premiers pas, au nord du nord, étaient si bienfaisantes.
Une évidence si palpable dans la Baie d'Hokianga, le havre où séjourna Kupe, l'ancêtre découvreur.
Cette longue entaille de quiétude dans le flanc de la côte occidentale est exposée aux coups de boutoirs de la mer de Tasman, mais préservée de la sauvagerie du dehors par un goulet étroit, gardien de sa virginité et de la douceur des rives intérieures. Dès les premiers contacts, les Européens font sauter le verrou de chasteté de la terre sacrée des Maoris. C'est le temps du viol qui commence.
Un fond d'offenses et de spoliations ponctué d'épisodes devenus historiques.
L'un des plus anciens renvoie à l'explorateur français Marion-Dufresne qui vient mouiller dans la Baie des Iles au cours de l'année 1772.
Les Maoris lui font bon accueil, jusqu'au jour où les Français brisent le tapu (tabou) en abattant sans permission un kauri pour s'approvisionner en bois. En représailles, le commandant malouin et douze de ses compagnons sont enlevés, massacrés et dévorés. A cette époque, les tribus maories disposent encore de toute leur force de frappe, mais une centaine d'années plus tard, elles restent impuissantes lorsque les colons entreprennent l'exploitation industrielle des arbres sacrés.
Le bois précieux, sa résine aux reflets d'ambre, sont autant de ressources qui font la richesse des Pakehas (les Européens). Aidés de leurs scieries à vapeur, ils déciment environ 80 % des forêts de kauris. En 1887, conscient des menaces que la colonisation fait peser sur sa terre, le chef Te Heuheu Tukino IV trouve un arrangement avec la Couronne britannique en lui cédant le territoire du Tongariro contre la promesse d'en faire une zone protégée, intouchable.
Stratégie du désespoir pour épargner le sanctuaire des sanctuaires.
Toutes les tribus maories vénèrent ces trois cônes éruptifs surpeuplés de dieux et d'esprits.
Ce maillon sublime de la ceinture de feu du Pacifique devient le quatrième parc national du monde en 1894. Cela aurait pu être un soulagement si la création du parc n'avait permis aux autorités de justifier la confiscation de milliers d'hectares dans les zones périphériques ou si les pentes des vénérables volcans, victimes de leur beauté, n'étaient devenues un terrain de jeu touristique, voire un nouveau décor à la mode pour les productions hollywoodiennes et bollywoodiennes.
Drôle de fête nationale que ce Waitangi Day, qui célèbre l'anniversaire du traité fondateur de la Nouvelle-Zélande : un marché de dupes signé il y a cent soixante-dix ans entre des chefs de guerre maoris et les représentants de la grande “tribu” d'outre-mer, pâlotte et non tatouée.
C'est le 6 février et, comme au jour de la ratification, la lumière de l'été austral enveloppe la Baie des Iles.
Deux mondes se côtoient au débouché de la rivière Waitangi.
Marins en uniforme blanc, têtes blondes souriantes, silhouettes fines et élégantes se mêlent aux faces tatouées, aux corps lourds souvent obèses, vêtus de t-shirts et de bermudas défraîchis.
Ta Moko Blacky se tient fièrement devant le drapeau tribal qu'il a planté dans le sable de Te Tii Beach.
Là où les visages les plus pâles ont gagné un espace à la hauteur de leurs rêves pionniers pétris de prospérité et de romantisme, une arche à la nature gratifiante, les Maoris ont perdu le ventre de leur culture, le siège de leur âme. Ils ont perdu le contrôle sur Aotearoa et son cortège de divinités ou d'ancêtres légendaires.
Mais même s'ils ont pleinement intégré la société moderne, ils sont sujets à un mal sournois :
une fracture identitaire.
Ces descendants de marins explorateurs demeurent habités par l'idée qu'une culture ayant perdu le contact avec le sacré est condamnée à la dérive.
Le 6 février 1840, à Waitangi, une délégation britannique, menée par le capitaine Hobson, signe avec 45 chefs maoris le traité fondateur de la Nouvelle-Zélande.
Ce document, qui proclame la souveraineté anglaise, est censé garantir aux Maoris la préservation de leurs droits sur la terre. Dans les faits, il ouvre la porte à un vaste mouvement de confiscation du territoire orchestré par les colons.
En 1975, sera créé un tribunal destiné à régler les litiges nés à la suite du Traité de Waitangi.
Manuel
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