"Si votre coiffeur faisait payer la coupe de base en fonction de votre assurance, voici ce que cela donnerait."
Suivait une liste de prix très différents selon le type d'assurance santé, des moins chers pour les mieux assurés aux prohibitifs pour les non-assurés.
Que diriez-vous, poursuivaient les médecins, si McDo appliquait aussi ce principe ?
Son express "ne figurerait certainement plus à 1 dollar sur son menu !", tant le géant du fast-food devrait payer de bureaucrates pour gérer cet écheveau de coûts différents.
Ces médecins appelaient Barack Obama à faire passer "une loi simplifiée" dont le premier point serait : "Que les prestataires de soins fassent payer à chacun le même tarif pour le même service rendu." Aux assureurs de fixer ensuite leur taux de remboursement.
Cette publicité nous avait touché au coeur.
Parce qu'on s'était personnellement heurté au problème.
Le docteur B., qui s'occupe d'un de nos genoux récalcitrant, avait plusieurs fois tenté de nous persuader.
"Narrez à vos lecteurs ce que vous me racontez, pour qu'ils comprennent qu'en Amérique la santé marche sur la tête."
Evidemment, on ne le faisait pas. Un journaliste n'est pas payé pour raconter ses vaines misères.
Mais le docteur B. insistait. Avec la dernière anecdote, il a fini par nous convaincre.
Si on peut aider à comprendre dans quel environnement économique, parfois surréaliste, s'est débattue l'administration Obama dans son ambition réformatrice, soit...
L'anecdote, donc : cette semaine, le docteur B. nous demande d'effectuer une imagerie par résonance magnétique (IRM). Serviable, sa secrétaire appelle le service de radiographie de son hôpital. Prudent, au vu de précédentes expériences, nous lui demandons d'en vérifier le coût.
La question posée, elle écarquille les yeux, et, chuchotant presque, nous annonce : "2 500 dollars" (1 850 euros). On avait déjà été confronté à cette situation. On lui explique qu'on va se débrouiller autrement.
Trois mois plus tôt, nous avions dû effectuer une première IRM.
La préposée du cabinet de radiologie avait posé la question rituelle : "Quel est votre assureur ?"
Du contrat passé avec lui dépend le prix de la prestation.
On explique, comme d'habitude, disposer de la Sécurité sociale des Français de l'étranger.
On montre sa carte.
Et, comme chaque fois, on s'entend dire que le cabinet "ne contracte pas" avec cette assurance.
On explique alors que l'on payera le service de sa poche, avant de se faire rembourser.
A demi-rassurée, la préposée consulte sa liste des tarifs et vous annonce : "1 650 dollars"...
Vous restez coi une seconde. "Mademoiselle, est-ce sérieux ?"
On vous regarde comme si vous tombiez de Mars.
"Ça ne va pas, Monsieur ?
- Mademoiselle, à ce tarif-là, j'achète un billet aller-retour pour Paris, j'y fais trois IRM intégralement remboursées et, en plus, j'ai la chance de voir mes enfants !"
Branle-bas de combat. "Asseyez-vous."
Manifestement désemparée, la préposée se précipite sur son téléphone.
Trois minutes plus tard, elle me rappelle : "460 dollars, ça ira ?"...
Payables d'avance, mais ça, on le savait. Vous voilà coi de nouveau. Disons que ça ira, oui.
Des amis américains nous l'avaient dit, que la santé, chez eux, c'est "n'importe quoi !" ("nonsense").
On avait eu de multiples occasions de le constater : un spécialiste nous avait déjà pris 550 dollars pour une consultation de dix minutes sans la moindre auscultation !
La santé aux Etats-Unis est le plus souvent un produit soumis aux simples règles de l'offre et de la demande, avec ses acteurs "éthiques" et ses marlous et avec sa grande marge de négociation.
Mais là ? Une même prestation tarifée du simple au quadruple ! On demande une explication.
La préposée nous en a donné une. Avouons-le : on n'y a rien compris, tant les termes technico-techniques de l'assurance y abondaient. Voilà pourquoi lorsque, plus tard, l'hôpital nous a demandé non pas quatre mais six fois plus cher, on ne s'est plus étonné. On a simplement dit "non", rappelé le cabinet de radiologie et demandé s'il était possible de bénéficier du même tarif que la fois d'avant. Ce qui nous fut de nouveau accordé.
On n'en saura pas plus, les médecins américains de notre connaissance se perdant en conjectures dans leurs exégèses divergentes sur ce cas...
La réforme Obama aura très sensiblement élargi la couverture de la population et mis fin aux abus les plus criants de l'assurance privée : le rejet sans recours des assurés "trop coûteux" étant l'un des pires.
Les Etats-Unis sont classés vingt-deuxième sur vingt-six pays riches étudiés dans le dernier bilan santé de l'OCDE.
Une femme américaine a onze fois plus de risques de mourir pendant sa grossesse ou son accouchement qu'une Irlandaise.
Et l'espérance de vie d'un Afro-Américain de La Nouvelle-Orléans est inférieure à celle d'un Hondurien.
La réforme Obama devrait permettre aux Etats-Unis de combler progressivement ces retards.
En revanche, et même si la politique tarifaire des assureurs est partiellement contrainte par cette réforme, en laissant globalement intact le coeur du système, que les Etats-Unis sont seuls à pratiquer dans le monde développé, le président "yes we can" ne sera pas parvenu à ébranler ce "n'importe quoi" et ses aspects les plus ubuesques.
Lors d'un deuxième round, qui sait ?
Manuel
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