Au rythme de l'accroissement de la population, les Toulousains de naissance seront de plus en plus rares. Logiquement, l'accent de Claude Nougaro devrait se diluer dans la masse.
La région toulousaine a en effet connu une augmentation record de la population.
Avec 1,2 million d'habitants c'est même le département de France dont la démographie a le plus augmenté entre 1999 et 2006.
Toulouse attire un nombre croissant de nouveaux habitants, notamment beaucoup de cadres et de jeunes. D'après l'INSEE chaque année ce sont 20 000 arrivants, en provenance d'autres départements, régions, pays, qui s'installent dans l'agglomération. L'accroissement démographique est de 1,8 % par an, un rythme qui a presque doublé depuis 1999.
Alors, de ce brassage de population va-t-il sortir un nouvel accent toulousain ?
Claude Sicre, figure locale, une des « références » de la culture occitane, le pense.
« Un accent de perdu, dix de retrouvés », plaisante le créateur du groupe Fabulous Trobadors.
Claude Sicre vit depuis longtemps à Arnaud-Bernard, quartier métissé où cohabitent des Français d'origine espagnole, catalane, italienne, maghrébine. «L'accent de Toulouse aujourd'hui est métissé. Il ne s'est pas appauvri, il s'est métamorphosé. Et ça ne me rend pas triste du tout ! » annonce Claude Sicre.
Même réaction chez Christian Laborde. Pour l'écrivain, que l'on surnommait à la fac du Mirail «Locomotive d'or» tellement il avait la voix de Nougaro, « le Sud garde sa parole. Longtemps on a été prié de renoncer à l'accent, mais aujourd'hui au contraire on le revendique ».
Pour les nostalgiques le «vrai» accent toulousain, avec son vieux fond pyrénéen, qui se perd peu à peu, c'est celui des papys et des mamies des quartiers populaires : Sept-Deniers, Les Minimes, Juncasse, Saint-Cyprien. Celui-là, il faudrait le mettre en bocal !
L'accent toulousain, qu'es-aco ? Contrairement au français standard, le parler toulousain appuie sur l'accent tonique et prononce les voyelles atones. Un parisien dit « un'p'tit'fam'à sa f'nêtr'». Ici on entend tous les « e » de la phrase.
Beaucoup de nos expressions typiques viennent du «patois».
Exemple : je me suis «empégué» le mur, vient de «empegar», «coller» en occitan.
Un « vocabulaire toulousain de survie » à l'usage des nouveaux arrivants a même été listé sur le net. Très amusant. (www.occitanet.free. fr).
Sur Facebook le groupe « you know you're from Toulouse when… », créé par deux Toulousains rassemble 9 158 membres.
Jacques Durand, chercheur en langues
Jacques Durand est professeur, chercheur au CNRS, directeur du laboratoire Cognition, Langues, Langage, Ergonomie à l'université Toulouse Le Mirail.
L'accent se perd-il ?
Toutes les enquêtes que nous effectuons dans les grandes villes du midi de la France (y compris Toulouse) démontrent un affaiblissement des traits traditionnels de l'accent du midi à savoir: prononciation des «e» dits muets (ToulousE = Toulous', villE = vill', la semaine = la s'maine, etc.) de plus en plus perdus et prononciation différente des voyelles nasales (un bon vin blanc) qui se rapprochent de la qualité «parisienne». Néanmoins les locuteurs méridionaux continuent à ne pas faire de différence entre «les» et «lait», «cote» et «côte», «jeune» et «jeûne». Mais ces oppositions s'affaiblissent en revanche dans les usages du nord de la France. Il y a un nivellement hexagonal qui s'opère dans les variétés du français.
Comment l'expliquer ?
Prestige de la norme parisienne à travers les médias, grands brassages de population, affaiblissement des langues régionales qui jouaient un rôle de substrat, centralisation scolaire (rôle des concours nationaux), croyance que la République exige une langue unique, jeunisme qui passe par une variété commune à tous les banlieusards dans les grandes villes ...
Notre prononciation peut-elle s'éteindre complètement ? Oui, tout dépend de la durée.
Dans l'immédiat, l'opposition traditionnelle plus forte entre grandes villes et campagnes permettra une survivance plus grande de la prononciation méridionale dans les petits villages.
« Qu'elles sont bonnes mes mandarines, goûtez-les ».
Pas de doute, Philippe, primeur sur le marché Cristal est Toulousain pur jus.
Son accent le trahit à chaque propos. Et il en est plutôt fier : « Depuis une dizaine d'années, l'accent de Toulouse se perd de plus en plus. Les Parisiens sont passés par là après les autres départements d'Aveyron et d'Ariège ». Il poursuit : « L'accent toulousain, je l'adore, même si je me fais chambrer quand je monte à Paris ».
Marc est natif d'Alger. Ancien commerçant, il est arrivé à Toulouse en 1962 et dès qu'il parle, son délicieux accent pied-noir colore ses paroles : « Évidemment, je n'ai pas l'accent toulousain, je n'aurais pas aimé. Je préfère les brassages qu'une seule intonation de langage. C'est beaucoup plus enrichissant ». Marc s'y connaît en accent : « Celui du nord, chez les Ch'tis est pointu, celui de la France profonde roule les R. Quand je suis arrivé, l'accent toulousain était très répandu, aujourd'hui il s'est beaucoup perdu, coulé dans plein d'autres ».
Sonia est Parisienne. Elle est arrivée voilà dix ans dans la Ville rose : « Je commence à prendre l'accent de Toulouse, C'est incroyable mais mes amis s'en rendent compte quand je retourne dans la capitale ». André a lui aussi cet accent chantant, «de Nougaro» comme il dit :
«Heureusement que les gens âgés le possèdent encore, c'est notre identité. Quand je vais à Paris, on sait immédiatement que je suis Toulousain. Je le revendique. Chez nous, on parle rond, on parle avec le sourire ».
Au marché Victor-Hugo, Jean-Marc possède aussi cet accent du sourire :
« Je le cultive, j'espère ne jamais le perdre ».
Odette, boulangère a un accent très prononcé qui la gêne :
« Je préférerais ne pas l'avoir, je ne le trouve pas très élégant. Tout le monde n'est pas Nougaro, à qui cet accent allait si bien, qui signait sa personnalité. Et puis à l'heure de l'Europe, est-il encore bon d'avoir ce genre de particularité ? ». Elle ajoute : « Vous savez, on peut aimer sa ville sans avoir un tel accent ».
Que des choses sympa. Mon accent ne m'a valu que des réflexions sympathiques.
Moi je ne m'entends pas mais quand je suis au resto, à Paris, on me dit toujours «Quel bel accent vous avez !» Sur Canal+, avec Dugarry, avec le rugby, on est plusieurs à avoir l'accent du Sud-Ouest. Il donne une belle image de notre région.
Si des joueurs ne comprennent pas ce que je dis ? Il ne manquerait plus que ça. Je leur mettrais une de ces castagnes !
Je ne crois pas à sa disparition. Je crois en la métamorphose permanente des accents.
L'accent est un chaudron brûlant. Avoir peur que l'accent toulousain disparaisse c'est comme ces discours inquiets qu'on entend autour de l'identité nationale. L'accent sudiste est présent partout, à la gare, dans les bus, à la radio, donc il finit par gagner ceux qui arrivent.
C'est pas demain qu'on parlera comme sur TF1 !
Il ne disparaît pas tant que ça. A l'école de mes enfants, tous les petits ont un accent à couper au couteau. ça, c'est le constat dans la rue. Mais l'accent est moins visible dans les médias.
On apprend aux animateurs à le gommer. Mais dans mon émission sur le Mouv', diffusée dans toute la France, je reçois des témoignages d'Alsace, de Bretagne, de gens qui sont heureux d'entendre mon accent toulousain.
Rien ne se perd, tout se transforme.
Il y a de moins en moins de gens qui parlent avec l'accent d'autrefois, celui des campagnes, issu des langues d'oc. Aujourd'hui les jeunes, comme mes filles, ont tendance à élider l'« e » muet.
Mais je ne suis pas inquiet. Il y a toujours un accent toulousain, qui est un mélange métissé de pleins d'accents. Moi je le garde, mais sans doute moins prononcé qu'avant.
Manuel
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